Les histoires d

 Les histoires d’ours peuplent nos légendes , elles font partie de la littérature, du cinéma , du patrimoine de l’Ariège et animent même les débats écolo-politico français.

Pour revenir à l’authentique je vous propose une histoire vraie, de celles qui , lorsqu’on les exhume d’entre des pages oubliées sont les grands plaisirs qui viennent donner du sens à notre quête . Mais personnellement  lorsque je vais promener pour chercher des champignons, ce qui d’ailleurs devient de plus en plus difficile,  je ne rêve pas de croiser ours ou loup, pas plus que dinosaures.  

CHASSEUR d'OURS

 Un acte de courage et d'intrépidité, vraiment extraordinaire, a été mis sous les yeux du comité de liquidation, qui m'a chargé de vous en rendre compte. Le citoyen Philipppe Rouzaud, laboureur, habitant le hameau des Fermes - d'Aumont, dans la commune de Mont- Ferrier ,district de Tarascon, département de l'Ariége , n'a pas craint d'exposer évidemment sa vie pour se rendre utile au canton qu'il habite. . .

Affligé de voir que dans la partie de cette campagne qui avoisine les Pyrenées, les ours qui infestoient cette contrée y répandoient la terreur et l'effroi, que des bestiaux envoyés au pacage y devenoient souvent, la proie de ces animaux féroces ; que les récoltes y étoient ravagées , il forma , en 1787,la généreuse résolution de leur faire la chasse; il n'avoit pour arme que son fusil, pour compagnon que son chien ; il tua, le 22 mai, un de ces animaux d'une énorme grosseur ; la peau qu'il rapporta avoit six pieds de long. Au mois d'octobre suivant , il est instruit par des bergers qu'un autre ours, plus monstrueux que  le premier , avoit paru : il ne se dissimule pas le danger qu'il peut courir en l'attaquant ; il n'en est pas effrayé ; il s'arme de son fusil ; il court à sa recherche avec son chien : après huit heures de perquisition , le chien ayant découvert la piste de l'ours  conduit le brave Rouzaud dans une gorge étroite, entre deux rochers escarpés , au pied d'un précipice , où l'ours avait formé sa retraite dans une touffe d'arbustes et de ronces.

L'ours, à la vue de l'homme, aux aboiemens du chien, pousse un hurlement si effroyable , que le  chien, qui étoit en avant, rétrograde, et va se jetter épouvanté aux pieds de son maître. Rouzaud n'avoit aucunes ressources pour s'écarter de la route de l'ours ; cependant il ne veut pas perdre  l'occasion de le tirer ; il lâche un coup sur lui au milieu des broussailles ; il l'atteint et le blesse entre le cou et l'épaule gauche. L'animal tombe: Rouzaud rappelle son chien qui avoit fui : il se retourne. L'ours, devenu furieux, s'étoit redressé ; il étoit prêt à se lancer sur le chasseur. Rouzaud essaie en vain de l'éloigner avec le canon de son fusil ; l'animal s'en empare avec ses dents et ses pattes et le jette en arrière; il revient sur sa proie ; Rouzaud s'arme d'un de ses sabots, et porte sur les dents de l'ours un coup qui le fait reculer.

Le combat devient alors plus vif et plus sérieux. L'ours saisit avec ses pattes le pied de Rouzaud ; il le mord à la jambe, et le renverse.

Dans cette affreuse  position Rouzaud conserve sa présence d'esprit,. il voit que l'animal cherche à le mordre à la figure ; il l'essaie à lui prendre l'oreille pour le contenir ; l'ours lui saisit la main.  Rouzaud profite de l'instant où l'animal tenoit sa gueule ouverte, il y enfonce sa main droite, et lui empoigne la langue; il lui gêne la respiration , et parvient à le fatiguer au point qu'il le renverse ; i1 profite de ce moment pour monter sur l'animal, il le presse avec ses genoux ; et , après une résistance et un combat de plus d'une heure, il parvient à l'étouffer.

Rouzaud , hors de danger, jette un regard sur lui , il est tout couvert de sang ;  il a le bras droit percé, le pouce et le petit doigt rongés , la  main gauche fracturée, les deux jambes déchirées, et la  jambe gauche criblée de blessures et un os cassé. Il tombe exténué de fatigue et de saisissement, et reste sur la champ de bataille jusqu'au moment où quelques hommes, attirés par les  aboiemens  redoublés de son chien , viennent jusqu'à lui, sont touchés par son état , lui donnent des secours. 

 Le comité n'a pu entendre le récit de cette action sans un étonnement mêlé d'admiration ; il a pensé qu'elle méritoit d'être recueillie et récompensée, sous différens rapports.

  Si le courageux dévouement de Rouzaud présente au premier aspect une sorte de témérité , il n'en est pas moins le fruit d'une intrépidité rare. Son résultat fut heureux, le canton fut délivré d'une bête féroce qui pouvoit y occasionner les plus grands maux. Le succès d'une lutte aussi terrible est l'effet d'une présence d'esprit peu commune, et qui honore celui qui a su la conserver au milieu d'un danger évident ; les blessures qu'il porte rappellent à chaque instant le souvenir d'une belle action, et la reconnoissance de ses voisins.

L'ancien gouvernement, qui sembloit avoir voué à l'insouciance et à l'oubli la classe honorable et laborieuse des habitans des campagnes, n'avoit pu se refuser à un acte de justice à l'égard de Rouzaud. Le gouvernement républicain, aux yeux duquel tos les hommes sont égaux, qui récompense tous les traits héroïques, qui honore toutes les vertus, ne se laissera pas  vaincre en générosité; il augmentera la gratification donnée à un citoyen courageux qui, oubliant son épouse et ses enfans pour ne voir que le bien de son hameau, et se confiant sur sa force et son zèle, s'est dévoué au danger de perdre la vie pour la tranquillité de ses concitoyens.

       Une gratification décrétée solennellement pénétrera jusqu'au pied de ces montagnes ; l'idée consolante que les représentans du peuple se sont occupés un instant de Rouzaud et de son courage, sera pour lui la plus douce de toutes les jouissances. Ses enfans et ses voisins se réuniront autour de lui pour l'en féliciter ; il oubliera ses blessures et ses infirmités, il ne verra que la bienfaisance nationale; les habitans de ce canton trouveront un encouragement puissant pour garantir leurs bestiaux et leurs récoltes, de ces animaux féroces qui ne leur enlèvent que trop souvent le fruit de leur travail et de leurs sueurs.

 Rouzaud est pauvre, et père de sept enfans. Cette considération n'a fait qu'ajouter aux motifs intéressans et décisifs qui ont déterminé le comité à vous proposer le projet de décret que  je suis chargé de vous présenter.

                                    Décret

 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de liquidation, décrète : 

  Article Premier

- Sur les fonds mis à là disposition de la commission des secours pour les dons et gratifications , il est accordé au citoyen Philippe Rouzaud, laboureur. de la cornmune de Mont-ferrier , district de Tarascon , âgé de 49 ans , qui , en 1787,exposa courageusement sa vie pour delivrer le hameau qu'il habite, des ours qui 1'infestoient, qui dévoroient les bestiaux et ravageoient les récoltes, et qui,  par suite d'un combat qu'il essuya avec  un des animaux qu' il tua, est resté estropié, une gratification de trois mille livres, laquelle est convertie en une rente viagère de trois cens livres , dont il jouira pendant sa vie. 

- II Cette rente viagère courra à compter du premier janvier 1791, qu'il a cessé de recevoir l'ancienne gratification dont il jouissoit au même titre, sauf la déduction des secours provisoires qu'il peut avoir reçus, en justifiant du dépôt de son certificat de résidence au bureau de la liquidation, dans les délais fixés  par les lois ;

           Bulletin de la Convention Nationale . Séance du 6ème jour de la première décade du 8ème mois de l'An Second de la République Une et Indivisible.

( Orthographe d'époque maintenue )                                                                                    

                            *  Document recueilli par Mme Arlette Chabbert aux A.D de Foix

 Phillipe Rouzaud ( parfois orthographié :Rousaut), né à Montferrier le 09.11.1745, fils de Guilhaume et de Marguerite Verdier, marié  à Mounier Jeanneton, fille de Antoine Mounié et de Izabel Mounié, de Frémis , hameau de Montferrier , le 28.01.1766.                                                    

                            * Renseignements généalogiques de M. Claude Prono .

L'arbre généalogique des Rouzaud, de Frémis , recherches de C Prono et Y.Krettly.

 

       Cette histoire  vraie de Philippe Rouzaud dit "le Martelhat" a été reprise par Monsieur J.Courdil .             Parue en 1926 dans le N° 2 du "Pays d'Olmes" elle obtint d'ailleurs une distinction littéraire : le 1er prix aux concours littéraire " La Sylphide".

  Elle a aussi fait l'objet d'un article de Monsieur André Maynard paru dans la Dépêche le lundi de Pâques 1980.